Pas de coup de pouce de l’État en dépit de la hausse des carburants

Transporteurs routiers, taxis, VTC… Tous les professionnels du transport commencent à subir l’impact redoutable de la flambée du coût des carburants, qui n’est sans doute pas finie, du fait de la crise ukrainienne. Premiers délaissés, les camions tournant au gaz restent au parking plutôt que de rouler à perte. Interrogé par Ouest-France, le ministère de l’Économie n’envisage pas de coup de pouce aux secteurs concernés.

Face à la hausse du prix du carburant qui commence à étrangler les professionnels du transport, aucune mesure supplémentaire n’est envisagée ​par l’État. C’est la réponse faite à Ouest-France jeudi 24 février par le cabinet du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui rappelle que certaines professions disposent déjà d’une réduction du coût du carburant et d’une capacité à en répercuter la hausse sur les clients.

La situation semble pourtant devenir intenable, selon plusieurs responsables professionnels, qui ont multiplié les alertes depuis quelques semaines auprès des ministères de l’Économie et de la Transition écologique.

Des camions au gaz restent au parking

Le cas le plus emblématique est certainement celui des camions au gaz, dans lesquels les transporteurs ont investi au titre de la transition énergétique, alors qu’ils coûtent 30 % de plus qu’un véhicule tournant au gazole. Or le prix du gaz a pris 420 % d’augmentation en un an, ​indique-t-on à la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), principale organisation pour le transport routier de marchandises, avec 5 500 adhérents sur les 40 000 entreprises françaises de transport. Le nombre de camions roulant au gaz est passé de 4 000 en 2014 à plus de 15 000 aujourd’hui. Mais bon nombre de nos adhérents préfèrent laisser ces véhicules sur le parking actuellement plutôt que de rouler à perte ».

François Baudoin, président de la section bretonne de la FNTR, et à la tête de Couvert et Muret, une entreprise de 200 salariés basée en Ille-et-Vilaine, observe que la hausse du prix du gaz aboutit à une hausse de 15 à 18 % du coût facturé au client ​dans le cas d’un véhicule sous contrat à l’année avec un chargeur.

Nous avons des échos selon lesquels des clients qui ont eux-mêmes demandé à leur transporteur de passer sur des camions au gaz, pour afficher leur volonté de participer à la transition énergétique, refusent maintenant les hausses de prix et demandent un retour à des camions au gazole ».

La FNTR demande, au moins, que le biogaz, produit en France notamment dans les unités de méthanisations agricoles, ne soit plus indexé sur les cours mondiaux du gaz d’origine fossile ».​Sans réponse de l’État à cette heure.

Exonération de taxe en baisse, coûts en hausse

Reste que l’essentiel de la flotte des 400 000 poids lourds français tourne au gazole, pour lesquels les transporteurs bénéficient d’un remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Mais le montant remboursé est en baisse régulière, et doit disparaître complètement en 2030, dans le cadre d’un mouvement de renchérissement du prix du gazole conforté par la loi « Climat et résilience » d’août 2021.

Le remboursement par l’État (variable selon les régions) est passé, en moyenne nationale, de 17,71 centimes du litre en 2019 à 15,71 centimes en 2020. Une donnée majeure pour des véhicules consommant jusqu’à 25 litres aux 100 km. Dans une entreprise telle que Couvert et Muret, c’est 100 000 € de résultat net en moins », ​a calculé François Baudoin.

Or dans le même temps, ​rappelle la FNTR, la hausse du prix du carburant a été de 30 % en un an. Avec l’inflation globale subie par les entreprises de transport, on aboutit à une hausse des coûts d’exploitation, entre juillet dernier et janvier de cette année, comprise entre 6,9 et 9,5 %, selon le type de transport assuré, ​a calculé la FNTR.

Depuis 2006, la loi permet au transporteur de répercuter automatiquement la hausse du coût du gazole au client. C’est aussi le cas depuis 2020 pour le gaz. Mais ça, c’est la théorie, relativise François Baudoin. Face à certains chargeurs, peu nombreux mais puissants, qui refusent les hausses ou les recalculent à leur manière, le transporteur n’est que le pot de terre contre le pot de fer.

Le responsable professionnel redoute que la flambée du carburant ne fragilise dangereusement nombre d’entreprises. Cela ne se voit jamais immédiatement dans le transport, parce qu’on peut différer le renouvellement des camions. Mais ce n’est qu’une solution de court terme. Précisément, j’ai connaissance d’annulation de commandes de véhicules, alors que les constructeurs les livrent avec retard. Ce n’est pas bon signe ».

François Baudoin regrette qu’alors que le secteur est engagé dans la transition énergétique, l’État n’accorde pas une seule ligne au transport routier dans son plan de relance ».

Il rappelle que le secteur a pourtant des perspectives, avec des solutions qui donnent déjà satisfaction, comme le gazole B100, composé à 100 % d’huile de colza, ou d’autres à plus long terme, comme l’hydrogène, qui est au point techniquement mais pas encore sur le plan économique ». ​Il demande donc au gouvernement de lancer une dynamique d’accompagnement du secteur

Les taxis face à un marché en berne

Les chauffeurs de taxi bénéficient, eux aussi, d’un remboursement de la TICPE en moyenne de 32 centimes par litre (le montant varie selon les régions). Notre demande au gouvernement est que la détaxe bénéficie d’un coup de pouce exceptionnel de 10 %, ou que les aides du fonds de solidarité, qui se sont arrêtées en septembre, reprennent. Mais nous n’avons pas de réponse, ​déplore Milan Dejanovic, secrétaire général du syndicat Locataires unis du taxi (LUT). Il défend plus particulièrement les chauffeurs qui louent voiture et licence à des sociétés détentrices de licences telles que G7, Gescop, Hype ou Jeronimo.

Sur les 18 524 taxis parisiens, 10 200 sont locataires et mènent un combat permanent pour s’en sortir »,​ indique Milan Dejanovic. Lui-même est de retour au volant quelques jours à peine après avoir subi une intervention chirurgicale.

Faute d’avoir voulu ou pu contracter un emprunt bancaire pour acquérir licence (la « plaque ») et voiture, les taxis locataires les financent à prix d’or et sans pour autant se constituer de capital »,​dénonce Milan Dejanovic.

La totalité de mes charges, voiture, plaque, Urssaf, carburant, c’est 170 € par jour, ​explique celui qui ne recourt pas à la radio de G7, qui alourdirait ses charges d’une quinzaine d’euros par jour. « Je ne commence à gagner de quoi me nourrir qu’au-delà, calcule-t-il. Les bonnes années, comme en 2019, on peut faire 270 € par jour. Actuellement, on a du mal à dépasser les 200. On nous parle du retour de la croissance. Mais les aéroports et les gares n’ont pas retrouvé leur activité normale. Si vous y ajoutez le télétravail, c’est toute une part de notre clientèle qui n’est pas là. » Or le chauffeur redoute que « le litre de gazole passe les 2 € à la fin mars.

Les VTC multiplient les manifs à Paris

Les mécanismes sont différents mais la tonalité générale est la même du côté des VTC, ces « véhicules de transport avec chauffeur » qui chargent leurs clients principalement par l’intermédiaire des plateformes numériques telles qu’Uber.

Brahim Ben Ali, l’un de leurs principaux défenseurs, à la tête du syndicat INV, a alerté Bercy », ​car la situation est invivable ». ​Ce dont les VTC parisiens ont témoigné avec une nouvelle manifestation cette semaine.

Concurrents des taxis, ils n’ont pas le droit de « maraude » (prendre les clients qui les hèlent dans la rue) ni celui d’utiliser les couloirs réservés. Dispensés de devoir acheter la coûteuse licence de taxi (entre 40 000 et 300 000 € selon les villes), ils ne bénéficient en revanche d’aucune détaxation du carburant.

La hausse récente fait passer le coût du carburant de 600 à 800 € par mois, » évalue Brahim Ben Ali. ​Si les 40 000 chauffeurs sont, en principe, libres de fixer leur tarif (au contraire des chauffeurs de taxi, dont les tarifs sont fixés par les préfets), ils sont en réalité tributaires des plateformes numériques. Or les plateformes, à l’initiative d’Uber, n’ont pas trouvé de meilleure idée que de lancer une baisse des tarifs pour relancer la demande. Résultat, le tarif de la course a perdu 10 % en deux mois, alors que carburant grimpe en flèche… ».

Mercredi, les VTC parisiens manifestaient, une fois de plus à Paris, exigeant du ministère du Travail qu’il impose un tarif minimum aux plateformes. Brahim Ben Ali se félicite qu’en réponse à sa demande, le ministère des Transports ait, au moins, accepté que l’âge maximum des véhicules utilisés ait été repoussé de 6 à 7 ans.Nous espérons qu’il soit accepté de le reporter à nouveau, à 8 ans ». ​C’est autant de temps gagné lorsqu’il s’agit d’investir dans une nouvelle voiture.

Mais il estime que le gouvernement doit faire un geste sonnant et trébuchant en accordant à titre exceptionnel, un chèque énergie de 200 € aux 15 000 à 18 000 chauffeurs de VTC n’exerçant que cette activité

Source: https://www.ouest-france.fr/